Une conférence donnée par Basile au Moulin à Café le 11 septembre 2019
12/09/2019

LA RENAISSANCE DU CARNAVAL DE PARIS

Conférence donnée par Basile au Moulin à Café le mercredi 11 septembre 2019

Bonjour. Je vous remercie d’être venu m’écouter. Je vais essayer d’être clair et compréhensible par tous. Si vous ne comprenez pas quelque chose, vous pourrez me demander un éclaircissement dans le débat qui va suivre ma conférence. Le sujet de ma conférence c’est « La renaissance du Carnaval de Paris ». Je vous donne tout d’abord le plan que je vais suivre.

Pour commencer je vais me présenter. Dire qui je suis et quel est mon lien avec le Carnaval de Paris.

Je vais parler de la renaissance du Carnaval de Paris. Et notamment de la vingt-deuxième édition du cortège de la Promenade du Bœuf Gras, qui a été un très grand succès le dimanche 3 mars 2019.

Puis j’aborderai des aspects philosophiques, théoriques et pratiques du Carnaval de Paris et de la fête vivante en général.

Enfin je reviendrai sur la théorie et la pratique du Carnaval en vue de l’action : que pouvons nous faire en nous amusant aujourd’hui pour augmenter la joie partagée et la convivialité ?

Dans le débat qui suivra je pourrai vous donner beaucoup d’autres éléments. Et notamment des informations sur le prestigieux passé du Carnaval de Paris et ses grands moments.

J’espère que vous prendrez du plaisir à m’écouter.

Donc, je vais pour commencer me présenter :

Je me suis toujours intéressé à l’Histoire, à ses aspects originaux, non conformistes. Dès les années 1980 je connaissais très vaguement le Carnaval de Paris.

En 1993, j’étais en recherche d’emploi. Fin septembre j’avais épuisé toutes les pistes exceptée la moins sérieuse : le Carnaval de Paris. Sans en faire un but commercial ou centralisé, j’avais l’idée que sa renaissance serait la source indirecte de la création d’emplois. Je commençais mes efforts dans ce sens. Ce fut le début d’une aventure qui dure depuis vingt-six ans.

À présent et depuis longtemps mon but initial a changé. J’œuvre à la renaissance du Carnaval de Paris par passion, amour du prochain et désir d’être utile au bien-être de la société.

Le Carnaval de Paris fut un des plus importants et beaux du monde et a prospéré durant cinq siècles à partir des années 1500. Il a succédé à la Fête des Fous qui prospérait elle au moins dès le onzième siècle dans tout Paris. Il y a donc une tradition de grande fête de Paris qui s’est poursuivie durant au moins un millier d’années. Paris qui est depuis au moins le douzième siècle une très grande ville.

Le Carnaval de Paris n’a jamais été rejeté par les Parisiens et n’a jamais été non plus calamiteux et violent. Il a au contraire toujours été très joyeux et pacifique. Ce qui lui a valu d’être aimé de l’immense masse des Parisiens. Et notamment de ceux qui y exerçaient et exercent encore les fonctions de police. Le Carnaval de Paris a contribué au prestige de Paris dans le monde.

Des années 1960 jusqu’à 1998 le Carnaval de Paris s’éclipse. La disparition progressive du tissu social festif des goguettes, petites sociétés chantantes, fait que le Carnaval de Paris recule à partir des années 1930. Ses grandes manifestations spectaculaires, bals masqués et défilés, vont disparaître. Un grand cortège défile encore le jeudi de la Mi-Carême 28 mars 1946. Le défilé carnavalesque traditionnel du Bœuf Gras sort à petite échelle dans le quartier de La Villette en 1951 et 1952. Cependant, en dépit de ce recul de la festivité parisienne, la fête reste vivante dans le cœur des Parisiens. Et le joyeux feu pacifique et convivial du Carnaval dort sous la cendre et ne demande qu’à être réveillé. Nous avons là le potentiel de ce qui sera demain très certainement une des plus belles, sinon la plus belle fête du monde. Le réveil du Carnaval de Paris commence en 1993. A l’époque ces mots « Carnaval de Paris » relèvent pratiquement de l’archéologie. Pour un Parisien, le mot « Carnaval » évoque alors plutôt Nice ou Rio. Dans les années 1950-1960 à Paris on parle plutôt du « Mardi Gras ». Ces mots figurent alors sur le calendrier des PTT distribué par les facteurs parisiens.

J’ai pris l’initiative de la renaissance du Carnaval de Paris fin septembre 1993. À l’époque j’ignorais parfaitement l’ampleur du défi. Je croyais que relever ce défi était une tâche aisée, facile, rapide. C’est seulement au bout de deux ans d’efforts très intenses que j’ai commencé à réaliser l’ampleur gigantesque, démesurée, de mon ambition. Mais j’avais déjà investi tant d’efforts dans cette œuvre que je ne me voyais pas y renoncer. N’étant pas passé par l’école, je n’ai pas cultivé l’art de la soumission et du renoncement face à « ceux qui dominent et qui savent ». Après l’été 1995, je me disais sur le ton de la blague, pensant à la renaissance du Carnaval de Paris : « à quoi bon faire grand quand on peut faire gigantesque ? »

Durant cinq ans mon projet a été bloqué du fait de sa nature. Je le portais moi, inconnu, sans argent, ni relations, ne cherchant pas à gagner de l’argent avec mon projet et souhaitant faire renaître rien moins que la principale fête de Paris. Face à moi le statut administratif d’exception de cette très grande ville. Ce statut indique que, hormis pour quelques très rares endroits, l’autorisation d’occupation de la voie publique à Paris, comme à Lyon et Marseille relève de l’autorité gouvernementale via une Préfecture de police et le Ministère de l’Intérieur. Le gouvernement se méfie de Paris, Lyon et Marseille et n’a jamais aimé le Carnaval. Le Maire de Paris a une influence sur le pouvoir du Préfet de police de Paris sur la voie publique parisienne. Mais il faut savoir que les politiques parisiens n’ont jamais aimé le Carnaval de Paris. C’est aussi une tradition. Elle dure depuis cinq cent ans.

J’étais donc dans la situation d’un moucheron cherchant à déranger un troupeau de brontosaures. Je ne devais pas leur paraître antipathique. Mon projet était bon enfant. Mais faire défiler dans Paris un cortège de Carnaval avec en tête une vraie vache vivante ! Mes courriers nombreux se traduisaient par des réponses aussi positives que fallacieuses : « on vous écrira », « votre projet sera étudié »… et, bien sûr, les félicitations d’usage qui ne coûtent rien, et sont rentables électoralement. J’ai cru à ces courriers faussement positifs. Ça a duré jusqu’à fin 1996. J’ai finalement compris que les officiels ne voulaient pas de mon projet. Projet auquel je croyais toujours. Je me disais en pensant aux officiels : « avec eux, sans eux ou contre eux le Carnaval de Paris renaîtra ».

La situation s’est débloqué en octobre 1997 quand j’ai rencontré Alain Riou. Alain Riou était Conseiller de Paris et Conseiller du vingtième arrondissement de Paris. Il souhaitait faire naître un Carnaval dans son quartier, c’était : « le Carnaval de Saint-Fargeau ». Je l’ai informé de l’existence passée du Carnaval de Paris et mes efforts pour le faire renaître. Nos deux projets ont fusionné.

Alain était têtu et aimait la fête. Il avait un ami, Jean-Yves Autexier, alors Conseiller spécial du ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, c’est-à-dire son premier collaborateur pour toute la France et les Départements et Territoires d’Outre-mer. Jean-Yves Autexier a donné son appui au projet et la situation bloquée depuis des années s’est débloquée. L’autorisation de défiler est arrivée ! Le cortège du Carnaval de Paris Promenade du Bœuf Gras qui n’était plus sorti depuis le dimanche 20 avril 1952 a recommencé à défiler en 1998 . Il défile depuis chaque année. Sa vingt-deuxième édition à ce jour s’est déroulée le dimanche 3 mars 2019. Alain Riou étant malheureusement prématurément décédé en décembre 2004, c’est moi qui suis à présent responsable de l’événement.

L’édition 2019 du Carnaval de Paris a été un très grand succès. En dépit du temps glacial et exécrable qu’il a fait durant les jours précédents, nous étions six à sept mille à défiler. L’essentiel est que règne à cette occasion l’esprit de la fête joyeuse, conviviale, authentique et vivante.

Le but de la fête n’est pas d’être nombreux, riche ou célèbre, mais d’être heureux ensemble dans le cadre d’une belle tradition et d’une ville unique au monde : Paris. Et de ses quartiers populaires. Nous défilons à Belleville et Ménilmontant, partant de la place Gambetta pour aboutir place de la République. Les Champs-Élysées ne nous conviendraient pas du tout. La rue du Faubourg-du-Temple ou le boulevard de Belleville où nous passons nous conviennent infiniment mieux !

Le Carnaval de Paris est une fête libre, bénévole, gratuite, indépendante, apolitique et autogérée. Le placement est libre dans le cortège. Aucune inscription n’est nécessaire pour participer. On peut se décider au dernier moment de venir ou ne pas venir. On peut être à tous moments au choix spectateur ou acteur. On peut prendre le cortège en route ou se contenter d’y assister. On peut le quitter quand on veut, à la fin du parcours ou avant. Toutes ces libertés essentielles pour la réussite d’une fête vivante, d’un vrai carnaval, sont incompatibles avec le cadre d’un événement festif subventionné. Car dans celui-ci les créditeurs exigent et obtiennent un contrôle et un suivi précis de l’usage qui est fait de leur argent. La subvention devient alors un piège. En ôtant au Carnaval sa liberté, son arrivée signifie qu’il n’y a plus de Carnaval, qu’il n’y a plus rien du tout.

Le thème du Carnaval est un thème libre. On est libre de le suivre ou pas. D’être costumé ou pas. Tout est libre. Les groupes participants sont invités à se doter d’accompagnateurs qui veillent à la bonne marche de leur groupe, notamment à éviter que se creuse un écart trop grand entre leur groupe et celui qui précède ou qui suit. Le cortège est formé de groupes constitués auxquels se joignent des individuels ou des groupes plus petits comme des familles.

Des participants viennent de loin. En 2018 un car entier de Boliviens est venu de Barcelone pour défiler. L’année d’avant d’autres Boliviens sont venus d’Allemagne, Belgique et Italie, dont un car entier de Milan. Des Boliviens venus d’Italie en 2017 sont revenus en 2018. D’autres sont venus de Londres. Chaque année le cortège comprend une quantité de batucadas, ensembles de percussions de style brésilien. Certaines batucadas sont des habituées du Carnaval de Paris comme Batala, Batuka de Sciences Po Paris, Sambinho, Pernambucongo, Maracuja, etc. Le Carnaval de Paris connait une participation antillaise. Elle est enthousiaste et compte à présent plusieurs centaines de participants. Les latinos-américains sont nombreux et très dynamques. Des Équatoriens depuis 2017 rejoignent les Boliviens. Les Péruviens sont arrivés en 2019, ainsi qu’un groupe de belles Colombiennes. Deux géants sont des habitués du Carnaval de Paris : celui du Théâtre aux Mains Nues et celui de la Compagnie Carnavalesque Basque de Paris.

Je ne saurais mentionner tous les groupes participants. D’autant plus qu’aucune inscription n’ést nécessaire pour venir défiler. Comme je l’ai dit, ce n’est pas un spectacle de rues subventionné, c’est le vrai Carnaval. Je ne connais pas les noms de tous les groupes participants.

Cette fête très réussie est une démonstration de l’efficacité du mode de fonctionnement autogéré. Les familles sont autogérées, le Carnaval de Paris l’est aussi. Sa structure organisationnelle est horizontale et tout le monde est responsabilisé. Pourquoi par exemple faudrait-il indiquer à chaque groupe où il devrait se placer dans le cortège ? En 2018, le groupe de tête a changé quatre fois en cours de route, où est le problème ? Un groupe nous rejoignait et se mettait devant. Je me souviens il y a quatre ou cinq ans un brave accompagnateur qui vient me voir affolé : « il y a un groupe qui vient de se mettre devant ! » Je lui ai répondu : « et alors ? Si ça leur fait plaisir ! »

Moi de mon côté si je suis en tête du cortège c’est parce que la police qui nous accompagne souhaite pouvoir me trouver facilement si elle a besoin de me joindre. En quinze ans, depuis la mort d’Alain Riou, que la police veuille me joindre durant la fête n’est arrivé que quatre fois.

Le Carnaval de Paris se passe très bien chaque année. Tout le monde a le sourire. Les policiers qui nous accompagnent nous disent qu’ils ont l’impression d’être en vacances. Même qu’ils ont envie de danser. Ce qui ne les empêche pas d’assurer très bien leur tâche de sécurisation du cortège par rapport à la circulation automobile que notre défilé interrompt.

Le moteur de notre fête c’est le cœur, pas l’argent. Le but n’est pas le nombre mais la qualité. Il vaut mieux que nous soyons six ou sept mille souriants que six ou sept cent mille qui fassent la tête.

La qualité c’est aussi que la préparation soit agréable de même que la réalisation. La base de la fête c’est nous tous. Notre volonté de réussir la fête est collective. Juste avant le Carnaval on me dit : « tu dois être très occupé, avoir plein de réunions, de courriers ». Ce ne sont pas forcément les mots employés, mais le sens y est. En fait il n’y a presque pas de courriers, et c’est très bien ainsi.

Et des réunions pour quoi faire ? Il y a des années je croyais utile d’en tenir une par mois pour préparer le Carnaval de Paris. Je me souviens de la délégation de la fanfare des étudiants de l’École Polytechnique, les Platypus Braxx Band. Cette délégation est venue deux fois. C’était sympa de la voir. Ses membres m’ont dit : « on a déjà peu de temps pour répéter notre musique. Pour nous c’est difficile de venir. On n’a pas trop de temps. » À quoi servaient ces réunions ? À rien finalement. Pour se retrouver au Carnaval de Paris elles n’ont aucune utilité. Bien sûr, si on rêve de pouvoir et de gloire, en organisant une fête on a besoin de telles réunions. Mais la fête, elle, n’en a pas besoin.

C’est pareil pour le placement des groupes dans le cortège. Il n’y a pas besoin d’en imaginer un. Ce qui est d’autant plus difficile à faire qu’on ne sait pas jusqu’au jour de la fête qui vient ou ne vient pas.
L’essentiel est qu’il y ait le jour venu au moins deux groupes prêts à défiler. Avec deux groupes on peut faire un cortège.

Il arrive que l’on me demande de venir me voir « dans mes bureaux ». Il n’y en a pas. Pourquoi aurions-nous besoin de bureaux ? Pour une fête autogérée telle que la nôtre ce genre de choses, très coûteuses à Paris, ne servirait à rien. Bien sûr, ma notoriété dans le Carnaval de Paris est d’autant plus réduite. Mais mon but n’est pas de me faire admirer. Mon but c’est que la fête réussisse et que tout le monde s’amuse. Quitte à ce qu’on ignore y compris mon existence et mon œuvre.

On parle beaucoup en France du célèbre Carnaval de Rio. C’est un spectacle magnifique. Mais sait-on qu’il se déroule dans une sorte de stade en béton baptisé sambodrome, où le public est confiné dans des gradins ? Et pour y accéder il faut payer, et très cher, pour assister durant les trois premiers jours au défilé des écoles de samba les plus prestigieuses. Résultat : le spectacle est alors plus accessible au touriste étranger qu’au Brésilien passionné de carnaval mais fauché. Cette organisation ne me plaît pas. Je préfère la joie partagée gratuitement entre le public de la rue et une batucada qui défile rue du Faubourg-du-Temple. C’est moins grandiose que Rio mais c’est la vraie fête vivante, désintéréssée, le vrai Carnaval.

Quand on parle de fête, il est courant qu’on vous dise : « il faut demander une subvention. » Comme on l’a vu, sa venue tuerait notre fête. On sait aussi que la manne céleste de la subvention, quand on la demande, peut ne pas arriver. Ensuite que si elle arrive elle est souvent riquiqui et surtout qu’en échange vous renoncez à votre liberté. Et le jour où la subvention disparaît, tout disparaît avec. Quantité de fêtes et festivals qui comptait sur la subvention pour exister ont disparu en France ces dernières années. Comme par exemple le Carnaval de Cherbourg ou de Carcassonne, ou le Festival de Musique classique de Strasbourg. Le Carnaval de Paris se porte très bien. Il ne reçoit pas et ne demande pas un centime de subvention. Des donateurs apportent un soutien financier depuis 2017 à l’association « Droit à la Culture », 415 euros pour 2017, 565 pour 2018 et 445 pour 2019. Mais cette association, fondée par Alain Riou en 1997, et que je préside depuis 2004, avec un intermède de 2010 à 2013 où elle a été présidée par Alexandra Bristiel, n’engrange rien de plus comme financement. Ce n’est pas beaucoup pour faire défiler plus de cinq mille personnes en 2017, cinq mille personnes en 2018 et six à sept mille personnes en 2019 !

La base du Carnaval vivant c’est qu’il est organisé. C’est la rencontre du cœur et de l’organisation. C’est la rencontre de la vapeur de la joie collective avec la chaudière de la locomotive de l’organisation pour tirer le train du carnaval. Présentement la base organisée du Carnaval de Paris est faite de la convergence d’associations qui viennent défiler ensemble le jour de la fête. La base traditionnelle du Carnaval et de la fête vivante en général, ce sont des sociétés festives, dont le but est la fête. En France, c’était les goguettes, du temps où le Carnaval prospérait partout, dans les villes, villages et hameaux.

Les goguettes s’appelaient ainsi ou autrement. Il y en avait des dizaines de milliers. C’était des petites sociétés chantantes. Leur but était de se réunir chaque dimanche pour passer un moment agréable ensemble, chanter, créer des chansons. Quand le Carnaval arrivait, ces petites sociétés le rejoignaient. Elles assuraient ainsi sa prospérité et son authenticité à Paris comme ailleurs.

Les goguettes ont pratiquement toutes disparues du fait de l’ambition de grandir. À l’origine elles faisaient toutes moins de vingt membres. Jusqu’en 1835 c’était interdit d’aller au delà. Puis ça était autorisé. Résultat les goguettes ont voulut faire grandes, riches, avoir un théâtre privé, un piano. La politique et les ambitions s’en sont mêlées. Et aujourd’hui il n’y a autant dire plus rien.

Seule exception : Dunkerque et les villes avoisinantes où le Carnaval est énorme et magnifique. Les sociétés festives sont toujours là par dizaines et assurent la réussite du Carnaval. On les appelle « sociétés philanthropiques et carnavalesques ». Il y en a d’autres qui ne portent pas de noms et se rassemblent juste à l’occasion du Carnaval. Qu’est-ce qui a assuré la pérennisation des sociétés festives de Dunkerque et des villes alentour ? À par quelques-unes qui regroupent une cinquantaine de membres elles font toutes douze membres. Elles ont conservé pour modèle celui des équipages des navires morutiers dunkerquois qui partaient chaque année à la pêche au large de l’Islande et de Terre Neuve. Le Carnaval de Dunkerque a d’abord été un carnaval de marins. Aujourd’hui, j’ai pu le constater, pour un Dunkerquois qu’une société de carnaval soit forcément petite paraît évident.

La clé de la renaissance de la fête vivante partout en France et ailleurs est là : c’est « la règle des dix-neuf ». Il nous faut partout de petites sociétés chantantes de moins de vingt membres. Ce n’est pas difficile à créer. Ça ne coûte pas d’argent. Ça assure la joie partagée toute l’année. Et le jour du Carnaval ou d’une autre grande ou petite fête locale ça assure son succès.

J’ai recréé deux goguettes à Paris où jadis il y en avait des centaines. Il s’agit de la « Goguette des Machins Chouettes » et de la « Goguette des Enfants de Priape ». Cette dernière est aujourd’hui en sommeil. Une amie a créé une goguette à Saint-Ouen. Je parle autour de moi et à vous aujourd’hui de la renaissance des goguettes. Imaginons que demain, dans une ville petite ou grande, naissent quatorze goguettes de dix habitués. Au total nous avons cent-quarante joyeux festifs rassemblés. À l’occasion d’une fête ils font venir des amis, des proches : les voilà trois cents. Il y a là largement de quoi assurer la réussite, par exemple, d’un bal ou d’un défilé de Carnaval. Sans se donner de peine ni spécialement dépenser de l’argent. Il faut le dire et le répéter : la renaissance des goguettes c’est l’avenir du Carnaval et de la fête vivante en général. Ces goguettes pourront se doter de bigophones, instrument carnavalesque bon marché, très bruyant et au jeu à la portée de tous sans connaître le solfège.

Au plan mondial, je souhaite la mondialisation de la teuf. Par la mise en réseau des sociétés festives pour assurer des voyages et échanges festifs, à l’image des Boliviens venus de Barcelone au Carnaval de Paris de l’an dernier. Mais surtout à l’image de la Corda Fratres, fédération internationale étudiante, fraternelle et festive, ni politique, ni religieuse, qui prospéra depuis 1898 jusqu’à 1914. Je ferai ici-même une conférence sur la Corda Fratres le jeudi dix octobre prochain. La Corda Fratres regroupait des dizaines de milliers d’adhérents sur les cinq continents. Elle manque aujourd’hui. Elle pourrait renaître demain.

Tout cela et bien d’autres initiatives festives sont possible. L’essentiel est d’avoir la bonne orientation. Avec une bonne orientation et vingt-six ans d’efforts je fais sortir dans la rue et défiler au Carnaval de Paris six à sept mille personnes. En prenant moins de temps il est possible d’arriver à quantité de très beaux et très joyeux moments festifs. Le but est de s’amuser. C’est le but le plus beau et le plus noble qui soit. Comme le disait jadis un journaliste à propos du Carnaval de Paris : « Amusons-nous et remettons à demain les affaires sérieuses ! » J’ajoute que s’amuser, mais il n’y a pas plus sérieux comme activité !

À présent mon exposé est terminé. Je vous remercie pour votre attention.

Basile Pachkoff

Paris le 11 septembre 2019

Texte téléchargeable de la conférence du 11 septembre 2019

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